1994 – 1998 : Hervé Szydlowski était sculpteur. Il est devenu ce photographe aujourd’hui célébré au-delà de nos frontières et est resté dessinateur. Le « premier » dessin date de 1998. Les premières photographies, qui devaient donner naissance à la série inaugurale intitulée « Vêtu de nu », furent réalisées à l’aube de ce XXIe siècle. 1994, 1998, 2000 : trois « paliers » et trois techniques pourtant sans ruptures.
Si la sculpture en tant que pratique, en tant qu’ « objet d’art », a – pour un temps – disparu, ses acquis traversent l’expérience des nouveaux supports, du papier Ingres au papier argentique, et cette langue maternelle, originelle, a permis à l’artiste de définir sa quête : l’exploration du corps humain, sa représentation, sa perception.
Figuratives et allégoriques (La punition d’Héphaïstos, 1995, Les médusiennes, 1996/1997 qui évoquent aussi, par leurs postures et cet alignement trinitaire, les « Trois Grâces » de la mythologie), symboliques et poétiques (La danse des Hérons, 1996), les sculptures d’Hervé Szydlowski étaient, comme le deviennent les sujets dessinés et photographiés, des personnages anonymes, se situant toujours à la frontière d’une multitude d’interprétations possibles.
La sculpture proprement dite a connu sa propre évolution. Elle a avant tout permis à l’artiste de développer une conscience aiguë des volumes qu’il fallait alors réinventer, imaginer et auxquels il avait décidé d’offrir des proportions élégantes, des postures significatives. Szydlowski préparait ainsi ses propres canons, à l’instar des modes et des goûts du présent. Les anthropomorphies chimériques qu’ils nous a livrées en sculpture étaient composées d’assemblages de métaux, de bois, de résine recyclée et de ces morceaux d’ardoise aiguisés, aux arêtes tranchantes, au trait et à la ligne sûrs tels qu’on les observe aujourd’hui encore dans les dessins. La sculpture en tant que pratique a donc été l’objet de combinaisons constamment renouvelées, improvisées, alchimie de matières inspirée au fil des œuvres, art d’un recyclage de matériaux voués à l’oubli que les Américains qualifient et consacrent sous le terme d’outsider. La ligne générale des corps, les contours, leur équilibre étaient tranchants, fendaient l’air et le vide, comme le sont aussi les contrastes lumineux qui modèlent, magnifient, subliment le réalisme du corps que Szydlowski photographie aujourd’hui pour révéler la beauté de la chair. Les postures et les mouvements, fixes, arrêtés, restitués par l’artiste (les bras levés d’Héphaïstos – la pose élégante des Médusiennes gracieusement féminisées, représentées sur la pointe de leurs tentacules) étaient encore ces danses naturelles que les gestes les plus anodins peuvent tout à coup et miraculeusement devenir.
De l’apparence friable de l’ardoise, Hervé Szydlowski est passé à la fragilité du fusain. De la sculpture au dessin, il n’y avait donc qu’un pas, celui de cette relation si étroite entre deux techniques qui permettent aux artistes de traduire tout d’abord ce qu’ils voient, mais plus encore la façon dont ils voient. De la fragilité du dessin, vertige de la feuille à entreprendre, un autre pas devait être franchi vers la fragilité des êtres photographiés, de cette humanité mise à nu, dévoilée dans sa plus stricte et pure vérité. Mortelle, mais vivante.
Par effet miroir, les œuvres d’aujourd’hui, triptyques photographiques où le corps apparaît en lumière et s’offre à nos regards, l’œuvre d’Hervé Szydlowski conduit le spectateur, par cet étrange détour, vers lui-même, d’où le titre S O I, de la série en cours, née en 2006. Certaines sculptures – La punition d’Héphaïstos, La Femme gazelle emprisonnée, 1996 – étaient à l’époque grillagées, prisonnières. Il faut croire que l’artiste a, depuis, trouvé pour quelques hommes, la voie de la liberté. Celle d’être S O I, très simplement.
Charlotte Waligora, historienne d’art
1996, La Femme gazelle emprisonnée, bois-métal-ardoise-béton, 192 cm